La construction de l’identité politique dans la conquête et l’exercice du pouvoir en Guinée : Une analyse de Sory KOUROUMA (Acte I)

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Le choix de cet article réside, d’une part, dans l’intérêt que nous accordons à des phénomènes socio-anthropologiques et politiques de la République Guinée du fait que la question ethnique et l’identité sont devenues des éléments les plus visibles à la conquête et l’exercice du pouvoir. D’autre part, depuis l’indépendance du pays jusqu’à nos jours les interrogations ne cessent de se poser sur la citoyenneté, l’ethnie et l’identité en Guinée.

La division de la société guinéenne en ensemble ethniques et politiques est facilement invoquée pour rendre compte des troubles sociaux, de l’instabilité politique, ou des retards de développement que l’on observe aujourd’hui en Guinée. En effet, le vote par l’appartenance sociale étant antidémocratique, les acteurs de la vie politique en Guinée construisent leur programme de gouvernance en rapport avec leur groupe d’appartenance.

Cette manipulation politique ne date pas d’aujourd’hui dans les pays d’Afrique subsaharienne. Les mouvements de démocratisation politiques ont donné naissance à plusieurs organisations politiques. Ces organisations sont principalement constituées à base de communautarismes, et les dernières élections dans certains pays d’Afrique témoignent cela. Nier l’importance de l’identité ethnique dans le comportement des électeurs et des acteurs politiques en Afrique et notamment en Guinée est un débat parfaitement stérile.

 En effet, le défi qui se pose à une société multiethnique comme celle de la Guinée n’est pas d’enterrer les ethnies ou de faire comme si elles n’existaient pas. Il est de trouver les bonnes formules institutionnelles pour gérer cette diversité dans un système pluraliste. La construction de l’identité ou l’identification ethnique se diffère en fonction des circonstances. Nous constatons qu’en politique, les individus issus d’un métissage ethnique peuvent changer constamment de casquettes, au gré des événements et des forces en présence pour reprendre l’expression de Bano Barry. C’est le cas des groupes minoritaires : ils peuvent accepter ou non d’être identifiés à un grand groupe ethnique.

La Guinée se présente comme une mosaïque de peuples. Ceux-ci comprennent traditionnellement en quatre groupes ethniques qui correspondent aux quatre régions naturelles : la Haute Guinée (Malinkés), la Basse Guinée (Soussous), la Moyenne Guinée (Peulhs) et la Guinée Forestière (Forestiers). Tout comme d’autres États d’Afrique, il n’est pas possible de croire que l’ethnicité n’aura pas d’impact sur la formation des partis politiques dans la conquête et l’exercice de la magistrature suprême. Cependant, le discours des acteurs de la vie politique et sociale produira des effets sur la population et leurs systèmes de gouvernance. Ceci est visible au sein des deux grandes familles politiques en Guinée, à savoir le RPG-Arc-Ciel et l’UFDG.

Lire aussi: La construction de l’identité politique dans la conquête et l’exercice du pouvoir en Guinée: une analyse de Sory Kourouma(Acte II)

Après avoir introduit, il convient maintenant de définir de manière synthétique les concepts du groupe ethnique/appartenance ethnique, de l’ethnicité, de l’identité politique et de la démocratie pour la bonne compréhension à des lecteurs qui ne sont pas parfois familiarisés à ces concepts. Par la suite, nous faisons un point sur la démocratie en Guinée en rapport avec le comportement des acteurs sociaux (hommes politiques, électeurs, etc.). Ensuite, décrire les conséquences néfastes du communautarisme sur la cohésion sociale de la société guinéenne. Enfin, nous abordons le lien entre l’alternance et le régime démocratique.

Définition des concepts

a-         Groupe ethnique/appartenance ethnique

Le concept groupe ethnique ou appartenance ethnique est difficile à saisir car c’est une notion socialement et historiquement fruit d’une construction qui ne saurait se réduire à des attributions, tels que l’appartenance à : un territoire, une nationalité, une langue, une religion, des traits culturels, une ascendance ou une généalogie. Au-delà de la combinaison de l’un ou l’autre de ces attributs, l’ethnicité fait appel à une histoire partagée, c’est-à-dire à une forme de conscience collective d’identité historique. C’est dans cette optique que M. Bulmer définit le groupe ethnique ou appartenance ethnique comme un « sous-groupe à l’intérieur d’une population plus large partageant une descendance commune, réelle ou putative, une mémoire d’un passé commun et un accent culturel sur un ou plusieurs éléments qui définissent l’identité du groupe comme par exemple la parenté, la religion, la langue, un territoire commun, la nationalité ou l’apparence physique  ». En effet, ce qui sera qualifié « d’ethnique » par les uns ne sera pas considéré comme tel par d’autres qui utiliseront de préférence la notion de nationalité ou « d’origine étrangère ». Dans les lignes suivantes, nous abordons le concept d’ethnicité dans le contexte guinéen. 

b-         Ethnicité

Pourquoi le concept d’ethnicité fait débat dans notre quotidien ?

La réponse est très simple, c’est parce que l’impact du facteur ethnique dans les relations sociales nous concerne tous. Pensons à la diversité ou la catégorisation des individus au sein de notre espace de vie, mais également, à la place que peut prendre la construction explicite ou implicite dans l’affirmation d’une identité, qu’elle soit nombreuse ou pas, Guinéen ou Africain ou laïque. Compte tenu des références aux communautés ou identité, nous pensons que le concept d’ethnicité en Guinée, soit parce qu’on le tient pour trop peu précis, soit parce qu’on a la peur de son emploie dans les analyses sociologiques, on participe à renforcer son recours par les acteurs sociaux. Par contre, oublier ou laisser de côté en raison de difficultés qu’il amène risque d’entraîner l’impuissance de notre manière de voir la pluralité de notre société moderne caractérisée par une mixité sociale et culturelle. D’ailleurs, Max WEBER dans les relations ethniques considère l’ethnicité comme un construit social, analyser des mécanismes de formation, de maintien et de transformation des groupes, des frontières et de sentiments d’appartenance. 

Pour notre part, le concept d’ethnicité est une appartenance symbolique et la sociologie de ces appartenances nous amène à une réflexion critique de l’importance des classes et des outils pour les analyser. Weber, Hughes, Barth cité par Gabriel Gosselin, l’ethnique est une affiliation particulière, fait, sentiment, volonté qui rapporte un groupe ou un individu à des genèses supposées communes, « peu importe qu’une communauté de sang existe ou non objectivement » (Weber), et qui de ce fait instaure dans le groupe et entre le groupe et d’autres semblables des relations spécifiques. Le sentiment ethnique, c’est celui d’être « nous », reliés à nos origines et différents des « autres » et de leurs origines. Après avoir définir l’ethnicité, il convient maintenant de s’attaquer au concept d’identité politique toujours en rapport avec le contexte guinéen.

c-         Identité politique

De quoi parle-t-on ? Pourquoi l’identité politique ? Pour quel but ?

L’identité est un concept qui manifeste un intérêt particulier en sciences humaines et sociales dans les études identitaires de notre société. Il fait l’objet de débats ou contradiction chez les politiques, les médias, les chercheurs, etc. où chacun interprète selon son environnement de recherche. En sociologie ou en sciences politiques, l’identité est définie comme un construit, le produit contingent et évolutif des luttes entre acteurs sociaux qui s’affrontent pour sa définition .

Le concept d’identité se présente comme une clé de la compréhension et de l’explication des phénomènes. Parce qu’en fin de compte, nous avons compris que ce ne sont pas les identités qui sont diversifiées, comme une image abusive du terme le laisse généralement supposer. Et pourtant, ce sont les phénomènes d’appartenances ou d’identifications sociales des individus qui le sont. Ces dernières structurent en configurations d’identification qui ne sont pas une simple association des uns contre les autres. Sur ce point, nous partons de l’hypothèse qu’elles sont gérées par forces, que nous allons appeler par la notion d’identité. À cet effet, voyons donc l’identité comme une norme organisatrice des différenciations qui sont propres à chacun de nous. Selon Erving GOFFMAN (1973, 1974, 1975), les individus ont plusieurs identités qu’elles relativisent en fonction des situations où ils se trouvent. Le but est de s’établir des interactions satisfaisantes dans la vie sociale. Pour cet auteur, l’individu est caractérisé comme acteur social joue un rôle.

Considérons l’identité comme un objet d’étude en sociologie dans l’optique de comprendre la manière dont la construction de la réalité sociale et le rapport qu’il s’établit par l’intermédiaire des groupes d’appartenances socioculturels. Définir l’identité politique d’une manière plus particulière, nous amène d’abord à réfléchir ce qu’est le politique au rapport du social. C’est de là où la sociologie politique tire son origine, nous avons considéré que la particularité de l’identité politique existait dans la relation à la sphère particulière qu’est la politique institutionnalisée. Cette définition nous amène inévitablement à confondre l’identification et l’identité : seraient donc politiques des identités rangées dans un domaine de différenciation entre les rpgistes et les ufdgistes,… dans le but d’être représenté au sein d’un parti politique. Enfin, retenons que l’identité politique n’est ni un objet, ni une caractéristique, ni un état, elle reste un élément théorique, c’est-à-dire impalpable et insaisissable.

Bibliographie

L’immigration des Guinéens vers l’Europe notamment la France fera l’objet de notre prochaine publication.

Sory KOUROUMA

sorykourouma@yahoo.fr 

Monsieur KOUROUMA est titulaire d’un Master en Sciences humaines, Mention Sociologie, Parcours de Recherche et Expertise obtenu à l’Université Rennes 2 avec mention Assez-bien en 2018.

Références bibliographiques

1. A. A. B. Barry, les violences collectives en Afrique : le cas Guinéen, l’Harmattan, 2000, p.127-128

2. Bulmer M. “The ethnic group question in the 1991 Census of population”, in D.Coleman et J.Salt (éd.), Ethnicity in the 1991 Census, vol. 1, p.33-62. – Londres, OPCS et HMSO, 1996.

3. Gabriel Gosselin, « Pour une ethnicité citoyenne », Cahiers internationaux de sociologie 2001/1 (n° 110), p. 121-130. DOI 10.3917/cis.110.0121, https://www.cairn.info/revue-cahiers-internationaux-desociologie-2001-1-page-121.htm

4. Chevallier Jacques (dir.), L’identité politique, coll. « Publications du CURAPP », 1994 ; http://www.persee.fr/docAsPDF/dreso_0769-3362_1996_num_34_1_1727.pdf

5. Origines de la démocratie : d’Athènes à aujourd’hui,  http://www.paricilademocratie.com/approfondir/pouvoirs-et-democratie/1434-origines-de-la-democratie-d-athenes-a-aujourd-hui

6. Nathalie BRACK et Sharon WEIBLUM, Pour une approche renouvelée de l’opposition politique, Revue internationale de politique comparée, 2011/2 (Vol. 18). https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2011-2-page-13.htm#no1

7. Violences postélectorales : Les vérités crues de Gassama DIABY aux militants du RPG, 10 février 2018 https://guineenews.org/violences-post-electorales-les-verites-crues-de-gassama-diaby-aux-militants-du-rpg/ 

8. Guinée LIVE, Alpha Condé est Burkinabé : Jean Marck TELLIANO dans les locaux de la gendarmerie, 12 mars 2013. http://guineelive.com/2013/03/12/alpha-conde-est-burkinabe-jean-marck-telliano-dans-les-locaux-de-la-gendarmerie/

9. Patrick QUANTIN, La démocratie en Afrique à la recherche d’un modèle. http://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2009-2-page-65.htm

10. Nelson Mandela cité par George Ayittey, in « La démocratie en Afrique précoloniale », Afrique 2000, nº 2, juillet 1990, p. 39.

11. André Lewin, « Jacques Foccart et Ahmed Sékou Touré », Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques [En ligne], 30 | 2002, mis en ligne le 22 novembre 2008, consulté le 18 février 2018. URL : http://journals.openedition.org/ccrh/712#authors

12. Alain TOURAINE, Qu’est-ce que La Démocratie ? Fayard, 1994, P.165

13. Bayart (J.-F.), L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 2006 (nouvelle édition augmentée), et « Africa in the World : A History of Extraversion », African Affairs, 99 (395), 2000.

14. Marco MARTINIELLO, L’ethnicité dans les sciences sociales contemporaines, Paris, PUF. 11 novembre 2015

15. Dama Camara, le proviseur du lycée-collège de Kaporo, Manifestations de l’opposition lundi à Conakry: Perturbation des cours dans 107 écoles de la commune de Ratoma. https://mosaiqueguinee.com/2015/05/06/manifestations-de-lopposition-lundi-a-conakry-perturbation-des-cours-dans-107-ecoles-de-la-commune-de-ratoma/

16. François Soudan, Directeur de la rédaction de Jeune Afrique. Une fois encore, la Guinée est en proie à une vague de violences post électorales, aux lendemains du scrutin du 4 février dernier. Comment faut-il comprendre ces poussées récurrentes ? Le 12 février 2018 à 12h43.

http://www.jeuneafrique.com/mag/529509/politique/elections-en-guinee%e2%80%89-la-rue-contre-les-urnes/

17. Dérives graves des coordinations régionales : Laye Junior Condé appelle à leur dissolution,

Dérives graves des coordinations régionales : Laye Junior Condé appelle à leur dissolution
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18. Georges Sarre, Communautarisme, 6 mai 2003, http://atheisme.free.fr/Citations/Communautarisme.htm

19. Marie-Christine STECKEL, Le Conseil constitutionnel et l’alternance, LGDJ, collection Bibliothèque constitutionnelle et de science politique, Tome 106, 2002, 398 p.

20. Léo HAMON, « Nécessité et condition de l’alternance », Pouvoirs, n° 1, 1977, p. 19

21. Barry, A. A. B., Les violences collectives en Afrique: Le cas Guinéen, Paris, L’ Harmattan, (juillet 2000), P.151

La suite dans nos prochaines publications



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