Il faut sortir du conformisme pour épouser le réalisme !
Avant de commencer cette réflexion, il convient de préciser qu’elle n’engage que son auteur (que suis-je).Donc, elle ne suppose aucun projet d’ensemble ou d’un quelconque groupe qui serait motivé par un objectif non avoué. Elle demeure une proposition personnelle ! C’est pourquoi, j’emploierai le pronom personnel « Je » à la place de « Nous » qui est plus recommandé dans une démarche scientifique, afin d’éviter les amalgames. Cette précision est importante au regard des suspicions, des a priori, des clichés et des accusations gratuites, qui règnent au sein de la société guinéenne. Parce que, désormais, dans notre pays, il est difficile de mener un débat intellectuel dans un esprit apaisé, sans être taxé d’ethnocentriste ou de militant d’une telle ou de telle autre formation politique.
Par ailleurs, l’objet de cette démarche porte sur une réflexion intellectuelle dont la mise en application pourrait à mon humble avis, contribuer à apaiser les tensions socio-politiques dans notre pays, ne serait-ce que temporairement et à construire une véritable nation guinéenne basée sur une identité plurielle fondée sur la reconnaissance et l’inclusion des identités singulières. Ainsi, cette éventuelle identité nationale sera le reflet de l’ensemble des identités sociales qui composent la Guinée. La démarche est également motivée par l’observation des crises sociopolitiques répétitives sur fond ethnique, qui découlent de manipulations orchestrées par des acteurs politiques et des leaders d’opinion (les autorités morales). En effet, considérant que toutes ces crises nécessitent une solution pérenne, afin de nous focaliser à l’essentiel qu’est le développement socioéconomique de notre pays, je me suis mis à réfléchir sur un modèle politique qui pourrait favoriser la stabilité sociopolitique dans notre pays. Du coup, nos anciens modèles sociopolitiques notamment ceux du Mandé, du Fuuta théocratique et celui de la Belgique actuelle, m’ont servi d’inspiration. Parce que ces modèles socio-politiques marchent plutôt bien. Alors, pour construire cette identité, il faut dans un premier temps, déconstruire les faux sentiments qui font croire qu’il y aurait nation guinéenne (I). Dans un second temps, il faut reconnaître nécessairement les identités ethniques comme étant des atouts et non comme étant un problème en soi (II). Et pour construire cette nation plurielle « désirée, revendiquée et assumée », il faudrait absolument mener une réforme institutionnelle qui prendrait en compte toutes les spécificités socioculturelles (III).
I- Déconstruire les faux sentiments pour construire une identité nationale réelle et plurielle :
Dans notre pays, on entend et on répète souvent ces formules magiques, belles et pompeuses : « la Guinée est une nation », « la Guinée est une famille ». Ces formules laissent croire que la Guinée est effectivement une communauté de destin appelée nation. Alors qu’en réalité, si on se réfère aux deux conceptions juridiques (allemande et française) de la nation – parce que la nation que l’on veut appliquer à la lettre à la société guinéenne, est une importation du modèle français – on se rendra compte que la Guinée n’en est pas une. Ainsi, voyons qu’est-ce que la nation selon ces deux conceptions. Dans la version française, la nation est le sentiment du vivre ensemble; tandis qu’elle [nation] est dans la version allemande, le fait d’appartenir à une même culture, race, religion, et le fait d’avoir un mode de vie commun et une langue commune. En effet, ces deux conceptions de la nation sont assemblées dans une même acception du Lexique des termes juridiques qui la définit comme un « groupement d’hommes ayant entre eux des affinités tenant à des éléments communs à la fois objectifs (race, langue, religion, mode de vie) et subjectifs (souvenirs communs, sentiment de parenté spirituelle, désir de vivre ensemble) qui les unissent et les distinguent des hommes appartenant aux autres groupements nationaux. » (Dalloz, 2010). Après avoir défini (juridiquement) la nation, questionnons alors les réalités socio-politiques de notre pays pour savoir si à l’aune de cette définition juridique, nous sommes effectivement une nation. Ainsi, je vais évoquer un certain nombre de faits sociologiques majeurs et symboliques pour illustrer l’inexistence d’une nation guinéenne. Tout d’abord, il faut rappeler que la Guinée est un pays multiculturel (multiethnique). Elle est composée de plusieurs groupes sociaux caractérisés par des identités : linguistiques, sociales, culturelles, religieuses, historiques, toutes singulières. Elles sont différentes les unes des autres. En réalité, même si elles peuvent à certains égards, avoir des ressemblances, des points communs, dans l’ensemble, chacune d’elles est différente l’une de l’autre. Rien qu’en observant les expressions symboliques de ces différentes identités dans le quotidien, on s’aperçoit qu’elles sont effectivement différentes. Par exemple, le rituel funéraire chez les Fulbes et Malinkés, n’est pas la même que chez les Kpèlès ou chez les Tomas, ainsi de suite… Cet exemple est une illustration parmi tant d’autres. Les différences peuvent s’observer dans bien des cas sur les réalités socioculturelles des différents groupes sociaux de notre pays. Selon les zones géographiques et le partage d’un certain nombre de réalités socioculturelles du fait de la religion et/ou de la cohabitation, etc., il peut y avoir des choses en commun entre les groupes identitaires. Au sein de chaque grande catégorie sociale (Fulbes, Malinkés, Soussous, etc.), nous pouvons également constater des sous-groupes sociaux. Mais l’essentialisation des groupes ethniques empêche de voir en eux une diversité. En dépit du partage en commun de la religion musulmane, les Fulbes, les Malinkés, et d’autres communautés au-delà du formalisme requis en islam – ne célèbrent pas de la même manière le mariage par exemple. Et pourtant, la religion est le fondement légal du mariage (selon les croyances bien entendu). Ces différences s’expliquent en partie par l’influence des pratiques traditionnelles (spécificités culturelles) dans les pratiques religieuses. Cette diversité des pratiques culturelles se manifeste lors des baptêmes. Chez les Fulbes, la bête est choisie (mouton ou chèvre) selon le sexe du nouveau-né, et elle doit être immolée pour l’occasion au 7ème jour de la naissance – partagée en deux parties : l’une est envoyée à la belle-famille de l’époux et l’autre partie est scindée entre les membres de sa famille, notamment entre les patriarches. La partie envoyée à la belle-famille est appelée « Fetchieree » (moitié) ! Cette pratique des Fulbes est toute différente de celle des Malinkés, des Soussous ou d’autres groupes sociaux partageant la même religion qu’eux.
Par conséquent, il convient d’admettre que les us et coutumes sont différents les uns des autres selon les groupes sociaux (ethniques) ! A cela, il faut ajouter les différences linguistiques. Et comme il y a une multiplicité de groupes sociaux, il y a aussi naturellement, une multiplicité de langues qui sont parlées par ces entités (groupes). Elles sont entre autres : le diakanké, le malinké, le pular, le kissi, le guerzé, le soussou, le baga, le landouma, le kounia, etc. De la même manière, le mode de vie des groupes sociaux sont différents selon leur zone d’habitation. Parce qu’il y a des cas exceptionnels qui prouvent qu’on peut être originellement d’un tel groupe social et adopter le mode de vie (comportement, culture, etc.) du milieu du groupe social dominant où l’on vit. Cela s’appelle en psychologie, « le déterminisme environnemental ». Et en sociologie, il est dit que c’est le milieu qui fait l’homme ! C’est ce que P. Bourdieu appelle d’ailleurs « habitus » (l’ensemble des schèmes et comportements intériorisés par un individu par rapport à son milieu social). Cependant, ce changement est aussi appelé « habitus individuels clivés ou dissonants ». Donc, on peut bien être biologiquement membre d’un tel groupe social, mais par la circonstance des choses (mobilité sociale, Changements structurels) adopter les « habitus » d’un autre groupe. Sur le plan religieux, il y a également des différences entre les groupes sociaux guinéens. D’aucuns sont Musulmans, Chrétiens, et d’autres, sont animistes. Et on peut retrouver dans certains cas, le mélange entre christianisme et animisme, et dans d’autres, le mélange entre islam et animisme. Ainsi, les religions monothéistes (islam et christianisme) sont pratiquées à certains des égards avec une dose de traditionalisme (animisme). Cela s’appelle du syncrétisme religieux ! Par conséquent, il n’y a pas une identité religieuse commune qui régirait l’ensemble des groupes sociaux.
Alors, sans vouloir entrer dans une historicisation des faits sociopolitiques, je vais juste aborder quelques évènements qui illustrent l’absence de désir du vivre-ensemble entre Guinéens. Je souligne tout de même que certains faits peuvent être marginaux du fait de leur caractère circonstanciel et exceptionnel. C’est le cas des crises sociales engendrées par le fait politique qui sont occasionnelles. Souvent dans notre pays, des communautés dont les activités principales portent sur l’élevage et l’agriculture – s’en prennent les unes contre les autres. Précisément, lors de la transhumance. A cela, s’ajoutent les conflits de voisinage et crises sociales (ethniques) qui se manifestent à l’occasion de chaque échéance électorale et parfois même en dehors des échéances électorales. Les crises que traverse actuellement notre pays dont la source est liée aux élections communales et communautaires, sont une parfaite illustration. Concernant ces dernières, d’aucuns diront qu’il y a des manipulations politiciennes qui les justifient. Oui, c’est vrai. Mais en réalité, la force d’une nation réside dans ses capacités à transcender les clivages pour être solidaire à l’une de ses composantes quand celle-ci est menacée; à privilégier l’intérêt général aux intérêts personnels et/ou communautaristes; et surtout, à faire front commun pour résister face à des menaces qui pèsent sur son existence. Les mobiles de ces menaces peuvent être entre autres : l’exclusion et de la violence de l’Etat, des manipulations politiciennes dont les conséquences peuvent être néfastes (guerre civile, affrontements inter-communautaires, etc.). Par contre, au regard des crises répétitives que traverse notre pays, aucune action, aucun comportement, n’indique que nous sommes capables de faire montre d’esprit élevé pour transcender les clivages sociopolitiques afin d’éviter le pire. Tous les jours, on enfonce le clou avec des discours politiques clivant et des déclarations ethno-régionalistes teintées de haine; et l’exacerbation des injustices sur tous les plans, favorisent la montée des tensions sociales. Et plus loin, on remarque bien que dans notre pays, les revendications et dénonciations ne sont exprimées que lorsqu’un groupe social estime que ses intérêts sont menacés. Le souci de l’existence et le respect de la dignité de l’autre ne sont importants que lorsqu’il s’agisse d’un des nôtres ! Par ailleurs, si on s’en tient à la définition de la nation donnée par Sieyès dans son fameux opuscule (petit ouvrage) qui est celle d’ « un corps d’associés vivant sous une loi commune et représentés par la même législature. » (E. J. SIEYES, Qu’est-ce que le Tiers-Etat ?, Paris, Flammarion, 1988, p.40.), on peut ainsi dire que la Guinée est une nation. Mais force est de remarquer que cette définition est minimaliste et impertinente. Parce que la loi commune sous laquelle, ces associés vivent, peut être imposée, non représentative, et la législature hors mandat. Donc, elle devient illégale et illégitime ! Alors que, le caractère légal et légitime de la loi a une signification importante en démocratie. La Guinée est-elle une famille ? Cette expression est souvent employée pour donner l’impression que la Guinée est un corps social qui forme un tout, c’est-à-dire uniforme. Et qui signifie en d’autres termes qu’il n’y a aucune différence entre les groupes sociaux qui le forment. Alors qu’en réalité, c’est tout faux. Par contre, sans vouloir trop m’attarder sur la notion, il faut savoir que la famille est une notion complexe, étudiée par diverses disciplines (anthropologie (sociale), ethnologie, droit, histoire, philosophie, sociologie et science politique). Ainsi, on ne peut réduire cette notion aussi complexe et profonde à un simple slogan fantaisiste et démagogique. Faire de tels raccourcis, consiste à faire montre de « paresse intellectuelle » (expression que je dois à Docteur Ramadan
Diallo). D’ailleurs, elle est tellement complexe que l’Ethnologue français Claude Lévi-Strauss parle de « sectes rivales » en établissant deux types de famille : la famille des verticaux et la famille des horizontaux. Et le psychanalyste Serge Vallon dans son ouvrage « Qu’est-ce qu’une famille ? Fonctions et représentations familiales », décrit trois catégories de familles, et à chacune d’elles, il donne une définition selon son objet. Il définit la première comme étant « l’ensemble uni que forment les parents et leur enfant. ». Celle-ci est la famille communément appelée « famille biologique ». Elle est le résultat d’un lien de sang ! La seconde est « un groupe solidaire d’appartenance, composé de ceux qui vont devoir m’aider sans réfléchir ni calculer ». Celle-ci porte sur la solidarité et l’entraide. Elle est en effet, liée aux intérêts qui régissent ses membres ! La troisième est « ce qui est écrit sur les faire-part; faire-part de naissance, de mariage ou de deuil. ». Cette dernière est liée aux considérations/intérêts que les uns accordent aux relations qui les lient à leurs proches et amis. En plus de ces définitions de la famille, il indique les trois fonctions de la famille : engendrer, protéger, éduquer – qui paraissent simples et compatibles selon lui. Cependant, il précise que ces trois fonctions de la famille sont au service d’une seule : transmettre ! Transmettre la vie, l’intégrité physique et psychique/les modèles sociaux comme les manières d’être d’un adulte reconnu. Alors que la société, quant à elle, a quatre fonctions : générations, sexes, production, spiritualité (cf. Eugène Enriquez, De la horde à l’Etat, Paris, Gallimard 1983.) qui sont assurées par diverses institutions (comme l’école, les groupements amicaux, les associations et les clubs, les unités de production de vie…). Donc, on voit bien qu’une société ne peut pas être une famille et vice versa. D’après Claude Lévi-Strauss « Ce qui différencie l’homme de l’animal, c’est que dans l’humanité, une famille ne saurait exister s’il n’y avait pas d’abord une société : pluralité de familles qui reconnaissent l’existence de liens autres que la consanguinité, et que le procès naturel de la filiation ne peut suivre son cours qu’intégré au procès social de l’alliance. » (Lévi-Strauss, Regard éloigné, op. cit. p. 83). Tout de même, une société ne saurait exister s’il n’y avait pas d’abord de familles. Ce sont des familles qui forment une société. Donc, les deux sont interdépendantes ! Et là encore, si je mets nos réalités sociopolitiques en parallèle avec toutes ces acceptions, je me rends rapidement compte qu’aucune de ces modèles de famille précitées ne correspond à ce que les uns appellent la « famille guinéenne ». En Guinée, il n’y a non seulement pas de consanguinité entre l’ensemble des Guinéens, mais aussi et surtout, même dans celle qui pourrait correspondre à ce que certains qualifient de « famille guinéenne » du fait de la solidarité entre ses composantes, les réalités entre Guinéens prouvent à suffisance que cette solidarité n’y est pas. En illustration, quand l’Etat violentait et tuait les citoyens de Womey, les autres communautés étaient indifférentes comme si de rien n’était; quand les citoyens de l’Axe sont violentés, tués et emprisonnés par l’Etat (les forces de défense et de sécurité), tout le monde est indifférent; et quand d’autres communautés et régions sont touchées, celles qui ne sont pas touchées, ne s’indignent même pas, donc, ne calculent pas. Et pire encore, d’aucuns se réjouissent, justifient les morts et la militarisation de l’Axe, par l’expression de l’autorité de l’Etat, par la nécessité de garantir la sécurité des personnes et de leurs biens. La famille est comme un corps humain. Si une partie du corps a mal, c’est tout le reste du corps qui le ressent. Et dans une famille, si un de ses membres souffre dans sa chair et dans son âme, en principe, tous les autres membres doivent compatir, exprimer leur solidarité. Mais est-ce que cela est valable pour la soi-disant famille guinéenne ? Aux vues des réalités sociopolitiques, c’est évidemment non ! Cependant, il faut souligner qu’il y a des alliances du fait des mariages mixtes entre pratiquement, toutes les identités sociales. Mais ces alliances sont-elles suffisantes pour déclarer que la Guinée est une famille et non des familles ? La réponse est non !
En dépit des quelques ressemblances et alliances qui peuvent exister de part et d’autre, je peux affirmer qu’il n’y a en réalité, ni nation guinéenne, ni famille guinéenne, et c’est en partant du point de vue juridico sociologique ! Ceci étant, il faut la construire la nation guinéenne. Mais comment ? En faisant la négation des réalités sociologiques (identités collectives) guinéennes qui sont en réalité, ce qui pourrait être le substrat même d’une éventuelle nation guinéenne ? Ou bien en les reconnaissant comme atouts et en les intégrant dans cette éventuelle identité plurielle ? C’est là que je vais aborder la deuxième partie de mon exposé (II).
Cette deuxième sera publiée dans nos prochaines éditions.