Chronique de la transition 𝐍°𝟏𝟒 : « 𝐋𝐚 đ đ«đšđ§đđž đŻđšđđ«đšđźđąđ„đ„đž » ( Pat Titi SidibĂ© et Mory Camara)

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Le prĂ©sent numĂ©ro s’étale sur les deux derniĂšres semaines d’une transition qui n’a en rĂ©alitĂ© pas encore connu son point de dĂ©part, tellement le pays a appris Ă  faire avec le quoiqu’il arrive.
Dans le prĂ©cĂ©dent numĂ©ro, nous avions Ă©voquĂ© l’ultimatum, sinon le temps imparti par la CEDEAO aux autoritĂ©s de la transition de lui proposer, Ă  l’issue d’un dialogue animĂ© par son mĂ©diateur Thomas Yayi Boni, une durĂ©e de transition qui soit raisonnable et acceptable. ConcrĂštement, cela voudrait dire une transition de moins des 36 mois prĂ©cĂ©demment proposĂ©s par le CNRD.
On ne peut dire que la visite Ă  Conakry du mĂ©diateur de la CEDEAO, Thomas Yayi Boni, ait Ă©tĂ© couronnĂ©e d’un grand succĂšs, faute d’avoir rencontrĂ© la classe politique et les reprĂ©sentants des organisations de la sociĂ©tĂ© civile, tout comme l’accueil glacial qui lui avait Ă©tĂ© rĂ©servĂ© par les autoritĂ©s de la transition.
Les commentateurs de la vie politique guinĂ©enne, dans leur grande majoritĂ©, sont d’avis que le rapport de force est plus favorable au Colonel Mamadi Doumbouya qu’à une CEDEAO en manque d’inspiration.
Parlant de durĂ©e de la transition guinĂ©enne, l’heure est plutĂŽt Ă  la discorde diplomatique entre Umaro Sissoko Emballo, chef d’Etat de GuinĂ©e-Bissau et PrĂ©sident en exercice de la Commission de la CEDEAO, et le colonel Mamadi Doumbouya, PrĂ©sident de la Transition guinĂ©enne. En effet, alors que le premier avait affirmĂ©, le 28 juillet dernier, avoir trouvĂ© un accord avec la junte militaire pour une durĂ©e de transition de deux ans, le Colonel qui n’a que moyennement apprĂ©ciĂ© cette sortie peu diplomatique, a indiquĂ© la semaine derniĂšre qu’aucun rythme ne sera imposĂ© Ă  la GuinĂ©e.
En dĂ©pit de la maladresse incontestable de Umaro Sissoko Emballo, le prĂ©sident de la transition guinĂ©enne semble rĂ©solu Ă  entretenir un bras de fer avec l’institution sous-rĂ©gionale. Au regard de son ire, comment entrevoir la cohĂ©rence de son attitude en total dĂ©calage avec son acceptation d’un mĂ©diateur censĂ© Ɠuvrer Ă  une durĂ©e consensuelle de la transition de moins de 36 mois ?
Le rĂ©cent rapprochement de la junte guinĂ©enne avec celle du Mali dans un obscur Ă©lan de fĂ©dĂ©ration tĂ©moigne de la volontĂ© d’obstruction du colonel. Il semble oublier que la mĂȘme attitude adoptĂ©e par son homologue Assimi GoĂŻta, avait valu au Mali de faire face Ă  des sanctions Ă©conomiques drastiques.
Sur le plan interne, l’heure Ă©tait Ă  la manifestation du FNDC telle que projetĂ©e pour la journĂ©e du 28 juillet 2022, mais restĂ©e interdite conformĂ©ment au communiquĂ© du CNRD relatif Ă  l’interdiction des manifestations sur toute l’étendue du territoire national. Les communes de la capitale concernĂ©es par l’itinĂ©raire de la manifestation, avaient-elles aussi rejetĂ© le prĂ©avis de manifestation sur leurs territoires. L’un des enjeux de cette journĂ©e de manifestation Ă©tait de savoir si le FNDC et ses alliĂ©s pouvaient encore avoir un pouvoir de mobilisation des grands jours comme au plus fort de son combat contre le pouvoir Alpha CondĂ©.
Le FNDC avait annoncĂ© qu’en cas de maintien de l’interdiction de la manifestation ou plutĂŽt de la marche allant du point de ralliement de la Tannerie (commune de Matoto) avec pour destination l’esplanade du Palais du peuple (Kaloum), il dĂ©ploierait son plan B. qui consistait en l’organisation de « manifestations Ă©clatĂ©es » : chacun manifeste dans son quartier. Fort, malheureusement, c’est le plan B qui l’a emportĂ© sur « la manifestation » pacifique annoncĂ©e par le CNRD. Ainsi, dĂšs le soir du 27 juillet, des pickups des Forces de DĂ©fense et de SĂ©curitĂ© ont quadrillĂ© l’Axe Bambeto-Cosa-Hamdallaye, faisant dĂ©clencher prĂ©maturĂ©ment le face Ă  face redoutĂ© avec les jeunes de la localitĂ©.
La journĂ©e du 28 juillet 2022 n’avait donc Ă©tĂ© que le prolongement des heurts de la veille avec les forces de l’ordre dans un dĂ©luge de violence rarement Ă©galĂ©. En effet, Ă  la stratĂ©gie de quadrillage prĂ©ventif des quartiers de l’Axe par les FDS, des jeunes de l’Axe ont opposĂ© une rĂ©sistance tout aussi dĂ©terminĂ©e.
Bilan de cette journĂ©e : des pertes en vies humaines, des dĂ©gĂąts matĂ©riels importants, de nombreux blessĂ©s de part et d’autre, ainsi que des arrestations. Quant Ă  savoir si le FNDC pu faire carton plein, la rĂ©ponse est Ă  nuancer. En effet, l’interdiction de la manifestation et la volontĂ© manifeste des autoritĂ©s de l’empĂȘcher Ă  travers l’occupation par les forces de sĂ©curitĂ© des diffĂ©rents points de rassemblements, ne permit nullement au Front d’atteindre son objectif du jour.
La tension dans les quartiers de l’Axe Ă©tait telle que face au dĂ©bordement des FDS, le Ministre de l’Administration du territoire et de la DĂ©centralisation (MATD) a requestionnĂ© l’armĂ©e qui s’est mĂȘlĂ©e Ă  la danse ajoutant ainsi de la confusion Ă  l’ouvrage.
Le cocktail ArmĂ©e et FDS lancĂ© dans des opĂ©rations de ratissage dans les quartiers de l’Axe ont malheureusement donnĂ© lieu Ă  des scĂšnes de dĂ©solation dont l’incendie par les manifestants de plusieurs pickups des FDS et l’arrestation de dizaines de jeunes dont des mineurs qui auraient Ă©tĂ© conduits au camp Alpha Yaya. Selon certains tĂ©moins, les personnes arrĂȘtĂ©es et envoyĂ©es dans le camp ont fait l’objet de bastonnades et de traitements traumatisants, histoire de leur briser le moral, avant d’ĂȘtre conduites dans les commissariats.
Les mauvaises habitudes ayant la peau dure, le CNRD a renouĂ© avec les dĂ©mons d’un passĂ© rĂ©cent du pays. C’est le cas de l’arrestation musclĂ©e de FonikĂ© MenguĂš, tard la nuit du 28 au 29 juillet 2022, par des « paramilitaires ».
DĂšs le lendemain, Ibrahima Diallo, responsable des opĂ©rations au FNDC, et Saikou Yaya Barry, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de l’UFR de Sydia TourĂ©, tour Ă  tour arrĂȘtĂ©s et placĂ©s sous mandat de dĂ©pĂŽt Ă  la maison Centrale de Coronthie. Ils sont accusĂ©s entre autres choses d’attroupements interdits, d’incendie volontaires, d’association de malfaiteurs et de destructions de biens publics et privĂ©s.
On notera que malgrĂ© les arrestations musclĂ©es et la poursuite du ratissage dans les quartiers les jours suivants la manifestation du 28 juillet, le FNDC a acceptĂ© la demande de la CEDEAO d’observer une trĂȘve le temps d’espĂ©rer tisser les liens du dialogue. Ainsi, la manifestation prĂ©vue le 4 aoĂ»t 2022 a Ă©tĂ© purement et simplement annulĂ©e.
L’une des grandes nouveautĂ©s sur le front des manifestations sous le CNRD, fut notamment l’apparition de contre-manifestants venus d’autres quartiers de la capitale pour contrer les Ă©lans de ceux de l’Axe avec la supervision ou la bienveillance des FDS. Ces allĂ©gations n’ont pas Ă©tĂ© formellement confirmĂ©es, bien que des vidĂ©os publiĂ©es sur les rĂ©seaux sociaux semblent les accrĂ©diter.
Le CNRD appuyĂ© par les autoritĂ©s judiciaires du pays et le ministre de la Justice, Alphonse Charles Wright, a pointĂ© un doigt accusateur sur la prĂ©sence massive de mineurs dans les manifestations du FNDC. Ils invoquent presque en chƓur les droits fondamentaux des enfants et l’obligation de leurs parents de les protĂ©ger conformĂ©ment aux instruments internationaux qui consacrent le droit des enfants. Les droits fondamentaux des enfants s’entendent notamment dans leurs rapports avec l’Etat pris comme dĂ©biteur des obligations de protection Ă  leurs Ă©gards.
Dans tous les cas, le CNRD n’entend pas se laisser submerger par la communication du FNDC sur le théùtre de la crise politique. De fait, il prend les devants et privilĂ©gie l’offensive en occupant constamment le terrain mĂ©diatique au grĂ© de ses intĂ©rĂȘts.
Notons toutefois l’absence de rĂ©action rapide officielle et effective de la part des autoritĂ©s en rapport avec les cas de tuĂ©s lors des heurts du 28 juillet 2022. Ce contrairement au traitement rĂ©servĂ© au premier dossier du premier tuĂ© sous l’ùre CNRD, avec l’engagement ferme et suivi d’effet du procureur gĂ©nĂ©ral d’alors, Alphonse Charles Wright. Rien de tel n’a semblĂ© se dĂ©gager dans le chef des autoritĂ©s judiciaires. Les poursuites contre les organisateurs des manifestations et de certains manifestants animent encore, quant Ă  elles, l’actualitĂ© judiciaire.
Chose curieuse, les partis politiques ne sont pas citĂ©s au premier plan des Ă©vĂ©nements du 28 juillet, bien qu’ils eussent par ailleurs annoncĂ© rĂ©pondre favorablement Ă  l’appel Ă  manifester du FNDC. D’ailleurs, l’Axe, supposĂ© fief de l’UFDG, semble avoir Ă©tĂ© la seule ou la principale zone de Conakry Ă  avoir bravĂ© l’interdiction de manifester en rĂ©pondant massivement au mot d’ordre du FNDC. De ce point de vue, il aurait Ă©tĂ© bien intĂ©ressant de voir ce que pĂšse le FNDC en 2022 au-delĂ  de l’Axe, Ă©videmment, si la manifestation avait Ă©tĂ© autorisĂ©e.
Les pratiques du passĂ© ont Ă©tĂ© remises au goĂ»t du jour avec l’occupation, dĂšs le lendemain de la manifestation du 28 juillet, des siĂšges des principaux partis politiques dits d’opposition dont l’UFDG, le RPG et l’UFR. Ce qui nous fait dire que le CNRD n’a plus grand-chose Ă  envier au RPG Arc-en-Ciel pour avoir repris ses pratiques les plus dĂ©criĂ©es du point de vue des libertĂ©s fondamentales.
Comme rĂ©action Ă  la sĂ©rie d’arrestations et de ce qu’il qualifie de « kidnapping » orchestrĂ© dans les quartiers hostiles Ă  la junte, le FNDC par la voix de Sekou Koundouno, a adressĂ© une liste de responsables de la rĂ©pression Ă  la Cour PĂ©nale Internationale. Il s’agit notamment du PrĂ©sident de la transition, du Ministre secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral Ă  la prĂ©sidence, des Ministres de l’administration du territoire et de la dĂ©centralisation ainsi que du ministre de la Justice.
Une dĂ©marche qui a visiblement provoquĂ© le courroux d’Alphonse Charles Wright, ministre de la Justice, le poussant sans doute, Ă  instruire au procureur gĂ©nĂ©ral d’engager une poursuite judiciaire Ă  l’encontre du FNDC reprĂ©sentĂ© par Sekou Koundouno, coupable selon lui de « diffamation et de divulgation de fausses informations de nature Ă  porter atteinte Ă  la paix et Ă  la sĂ©curitĂ© publique et complicitĂ© de meurtre par instigation ».
Onze mois aprĂšs la prise du pouvoir et l’annonce d’une transition inclusive, apaisĂ©e et synonyme de nouveau dĂ©part pour le pays, l’heure est aux interrogations lĂ©gitimes, faute de rĂ©elle volontĂ© de la part du CRND de s’engager dans une dynamique de dialogue et de restauration de la confiance entre les acteurs pour mener le navire GuinĂ©e Ă  bon port. Ce n’est ni avec la victoire du FNDC sur le CNRD, ni avec celle du CNRD sur une partie de la classe politique que la GuinĂ©e s’affranchira des dĂ©mons du passĂ©.
Mardi 10 août 2022
Par Titi Sidibé et Mory Mohamed Camara



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