Le jour du jugement dernier, je veux dire le jour très proche où les nouvelles générations se rassembleront pour dresser le bilan abominable de notre indépendance, une coupable sera tout de suite désignée du doigt, c’est l’intelligentsia guinéenne.
Elle est responsable à elle seule de 90% des malheurs de ce pays. Pas directement bien sûr ! Les responsables, les vrais sont connus : ils s’appellent Sékou Touré, Lansana Conté, Dadis Camara, Sékouba Konaté, Alpha Condé et Mamadi Doumbouya. Seulement, qui les a fabriqués, ces monstres-là ? Ce sont nos élites, je veux dire, nos universitaires, nos prêtres, nos marabouts et nos officiers supérieurs. C’est à cause de leur paresse d’esprit, de leur lâcheté et de leur opportunisme que ce merveilleux pays est devenu la chose ridicule et pestilentielle qu’il est aujourd’hui.
La défaillance de nos élites commence dès les premières heures de la République et elle n’a jamais cessé depuis. Si l’on doit avec beaucoup d’indulgence comprendre l’idéalisme-un idéalisme naïf, cependant, presque infantile !-de nos premiers intellectuels, le comportement de ceux qui ont suivi reste sinon honteux du moins, confus, totalement illisible. Ce n’est certainement pas ça qu’un peuple attend d’une élite.
Une élite, c’est fait pour éclairer le chemin, tirer le peuple vers le haut, vers les rêves les plus fous, les plus beaux, les plus exaltants. Pour cela, il faut un minimum d’intelligence, un minimum de courage. Nos élites à nous, n’ont ni l’un ni l’autre. Nos intellectuels manquent d’idée et d’idéal ; nos chefs religieux, de foi et de vertu. Quant à nos officiers, mon dieu, quant à nos officiers, ils sont les premiers à prendre la poudre d’escampette au premier sifflement des balles. Le bon soldat, c’est la fougue, le soldat guinéen, c’est la frousse !
Cette méprisable faune n’a qu’une idée en tête : gagner le prix de la sauce-gombo en cirant les pompes des petits chefs qui ruinent le pays. Vautrées dans le dérisoire du quotidien, dépourvues de toute préoccupation historique et culturelle, nos élites qu’elles soient civiles religieuses ou militaires ont délibérément omis de jouer leur rôle. Elles ont baissé la culotte. Elles ont pactisé avec l’opprobre. Elles ont démissionné sans plier sous la honte. Elles ont laissé la voie libre aux médiocres qui ayant de ce fait, accaparé tous les leviers du pouvoir font la seule chose qu’ils savent faire : mentir, voler et tuer. Disons les choses clairement : elles ont tourné le dos au pays, elles ont livré le peuple aux barbares ! Elles auront beau citer Castro, l’Histoire ne les acquittera pas !
Je ne dis pas que nous vivons aujourd’hui, le moment le plus tragique de notre histoire, mais certainement le moment le plus pauvre, le plus indécent, le plus ridicule. Jamais nos élites n’ont été aussi puantes. On utilise la bible, le coran, la philosophie et le droit pour tenter de nous convaincre que Mamadi Doumbouya a le droit de chiffonner la charte de la transition pour se faire couronner (c’est le mot !) président de la République comme hier on a tenté de nous faire comprendre qu’Alpha Condé (qui fut pourtant le premier opposant à demander la limitation des mandats) avait le droit de s’octroyer un troisième mandat. Quand je vois cette horde de rats grouiller autour de la mangeoire, en dansant la mamaya pour cette bande de tueurs qui nous gouverne, j’ai envie de dire « fermez le rideau, épargnez-nous cet odieux spectacle ». Mais bon, on est en Guinée où le champ de ruines éthique et moral est cent fois plus vaste que le champ de ruines économique et social.
Le Sénégal est loin de représenter l’idéal. Ce pays très proche du nôtre, a lui aussi ses problèmes. Cependant, il a toujours réussi à éviter le gouffre. Pourquoi ? Parce que ses élites, à défaut d’être parfaites, ont toujours assuré le service minimum. Là-bas, quand le président commence à déconner, les universitaires, les officiers et les chefs religieux se liguent tout de suite pour le mettre devant ses responsabilités. Ici, plus il vole, plus on chante ses louanges ; plus il tue, plus on le supplie de conserver le pouvoir. Normal, me direz-vous, l’intellectuel sénégalais aime le Sénégal, l’intellectuel guinéen n’aime que son ventre.
Tierno Monénembo .