Récupération des bien : « Les avocats de Sidya et de Dalein ont-ils saisi le bon juge ? » Par THierno Barry

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Beaucoup de guinéens se posent cette question. Mais d’abord, il est utile de rappeler que le législateur guinéen ne consacre pas un dualisme juridictionnel comme on le connait en droit français ( c’est à dire deux ordres de juridictions séparés avec d’un côté le juge judiciaire et de l’autre le juge administratif). Dans ce pays où le dualisme juridictionnel est consacré, le conseil Constitutionnel a délimité de manière précise les compétences du juge administratif et distinguer  » les matières réservées par nature à l’autorité judiciaire ».
Dans sa décision du 23 janvier 1987- Conseil de la concurrence, le juge constitutionnel français juge que  » relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l’annulation ou la reformation des décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales (..). » Cependant,  » les compétences constitutionnelles du juge administratif s’arrêtent là où commencent celles qui relèvent par mature du juge judiciaire ». Parmi ces dernières, figurent de manière évidente et incontestable  » la sauvegarde de la liberté individuelle et la protection de la propriété privée, l’état et la capacité des personnes et le contentieux du fonctionnement du service judiciaire »
Alors, si dans ce pays où le dualisme juridictionnel est consacré, le conseil constitutionnel juge que la sauvegarde des libertés individuelles et la protection de de la propriété privée sont, entre autres, des « matières qui relèvent par nature du juge judiciaire » peut on trouver incongru que dans notre pays où nous avons un seul ordre juridictionnel ( à l’intérieur duquel se trouve une chambre administrative), que des justiciables demandent au juge judiciaire de prendre des mesures de protection pour garantir leur droit à la propriété privée ?
Cela dit, je ne connais pas le contenu de la demande adressée par les avocats de Dalein et de Sidya à la juge des référés du tribunal de Dixinn, car je n’ai pas vu la requête. Mais si la demande visait à obtenir du juge des référés l’annulation ou la reformation de la décision du patrimoine bâti public, alors la juge avait raison de se déclarer incompétente, car le contentieux de l’annulation ou de la reformation des actes administratifs relève de la compétence de la chambre administrative et constitutionnelle de la Cour Suprême.
Si la demande visait à obtenir une mesure de protection en attendant que le juge administratif se prononce sur le fond, je pense que considérant le fait que la sauvegarde des libertés individuelles et la protection de la propriété privée relève par nature du juge judiciaire, la juge des référés ( qui a une compétence large) aurait pu trouver les arguments pour fonder sa compétence non pas sur l’annulation de l’acte administratif mais sur le prononcé d’une mesure de sauvegarde.
J’ai d’ailleurs hâte de lire son argumentaire. Maintenant, si le juge judiciaire dit qu’il n’est pas incompétent pour les questions qui relèvent par nature de sa compétence lorsque l’atteinte résulte d’un acte administratif, alors ce serait aussi intéressant de le savoir.
En tout état de cause, est ce que les avocats auraient pu s’adresser directement à la chambre administrative dans le cadre du référé suspension ou du référé liberté, la réponse n’est pas évidente, car ces recours ne sont pas expressément consacrés dans les attributions de la chambre administrative et constitutionnelle de la cour suprême de Guinée.
En effet, le décret D/ 2017 /284 /PRG/SGG portant promulgation de la Loi organique L/2017/003/AN du 23 février 2017 qui définit en son article 36 les attributions de la chambre administrative ne mentionne pas expressis verbis la possibilité de tels recours.
L’article 36 indique que  » la chambre administrative connait : en premier et en dernier ressort, des recours en annulation pour excès de pouvoir, de la légalité des actes des collectivités locales, du caractère réglementaire de certaines dispositions de forme legislative, des pourvois en cassation rendus sur le contentieux de pleine juridiction et des arrêts de la cours des comptes, du recours en cassation contre les décisions rendues par les organismes administratifs à caractère juridictionnel. Aucune mention expresse du référé.
Il est aussi utile d’ajouter qu’en France, c’est en 2001 à la faveur de l’entrée en vigueur de la Loi du 30 juin 2000 que le conseil d’Etat français ( juge administratif) a vu s’élargir de manière significative le champ d’action du juge des référés administratifs avec l’introduction du référé liberté et du référé suspension.
Alors la démarche des avocats vers le juge des référés du tribunal de première instance de Dixinn n’est pas incongru. J’ai entendu dire qu’ils sont incompétents, c’est aller vite en besogne, même si je reconnais que le contentieux administratif est l’angle mort de nombreux avocats guinéens.
Maintenant, il reste aux avocats de s’adresser directement à la chambre administrative et constitutionnelle pour obtenir l’annulation de la décision du patrimoine bâti public. Sur ce terrain, ils ont de bonnes chances de prospérer.
Mais en définitive, la question qu’on doit se poser est la suivante : est ce que le référé suspension ou le référé liberté dirigé contre les actes administratifs est consacré par notre droit positif ? Si oui, quel est la juridiction compétente ?

Par Thierno Barry Juriste



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