L’entretien de la dictature. Voir et penser au-delà de Alpha Condé (Par Amadou Sadjo BARRY)

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Une seule personne ne peut ériger la dictature en système de gouvernance politique, car la dictature est à la fois culture et esprit. Son enracinement et sa durabilité sont l’effet du silence, de l’indifférence, de l’accommodement et de la complicité des hommes et des femmes. Ce qui signifie, pour la Guinée, que Alpha Condé n’est pas le seul responsable du retour de l’esprit de années 60 ; ce n’est pas à lui seul qu’il faut imputer le fait que la Guinée se soit transformée en prison à ciel ouvert, un cimetière pour l’humanité de l’homme. Il y a aussi ses structures, ses hommes et ses ministres, actifs et silencieux, qui aident à pérenniser la culture de la dictature.

 Je pense tout d’abord au général Namory et aux forces occultes qui garantissent la longévité du pouvoir à Alpha, aux inconditionnels que sont les Kiridi Bangoura, Mohamed Diané, Damaro Camara, Albert Damantang Camara, Tibou Kamara. À ces fidèles qui n’hésitent pas une seconde à justifier légalement l’injustifiable et l’anormal, il faut ajouter les indifférents, ceux qui par leur silence contribuent au maintien du régime dictatorial, Mama Kany Diallo, Bano Barry, Curtis, Rémy Lama, Ismael Dioubaté, Ibrahima Kalil Kaba, Mamadi Camara et tous les membres du gouvernement. Le principe de la responsabilité collective les accuse : individuellement, ils ne sont pas coupables, mais en tant que membres du régime ils sont comptables de ses méfaits et de sa violence sur les esprits et les corps.

Ils peuvent jouer la conscience tranquille, mais ce ne sera pas sans constater une tache de sang sur leurs mains. Mais ce n’est pas tout, la dictature prospère en Guinée parce que les autorités morales et religieuses et la prétendue société civile ( Dansa Kourouma et cie ) ont renoncé à défendre la justice et l’égalité. Ils ont sacrifié sous l’autel des privilèges et du communautarisme l’avenir démocratique de la Guinée. On le voit avec la notabilité de la Haute-Guinée qui appelle à privilégier le bonheur de Alpha Condé au détriment de la justice sociale et économique.

La solidarité communautaire s’accommode de la dictature, bien que la sagesse du manding aurait pu inviter à un autre point de vue, celui qui avait présidé à la Charte désormais célèbre de KourouKan-Fouga, le respect de l’humain et de sa dignité intrinsèque. La culture du mandingue telle que nous l’ont présentée des historiens avertis comme Séné Mody Cissoko et Djbril Tamsir Niane ne laisse aucun doute sur son potentiel moral à fonder une société juste et égalitaire. Voilà pourquoi à l’instrumentalisation dont elle fait l’objet de la part de Alpha condé et ses soutiens, il nous faut opposer une vigilance et le potentiel humaniste des valeurs du mandingue. Et Sékou Touré et Alpha ont trahi l’esprit de leur culture d’origine, comme c’est le cas d’ailleurs pour une grande majorité de la classe politique guinéenne.

L’esprit de solidarité tant vanté de nos cultures n’a jamais reçu de traduction politique et institutionnelle : L’occident individualiste, où la « mort de Dieu » a été proclamée par le nihilisme du 19e siècle, est plus solidaire et respectueux de l’humain que la Guinée ou l’Afrique aux cultures sociales et aux croyances religieuses fortes… Voilà qui donne à penser. 

Peut-être n’avons-nous pas encore pris la mesure du mal, car il n’est pas rare de voir, aussi, des journalistes ou des sites d’informations qui prétendent les meilleurs s’interdire toute critique à l’endroit du régime et certains de ses membres, comme Damantang ou Naité à l’époque ; de voir des universitaires et intellectuels qui ont décidé de s’engager dans le débat public tout en se dégageant, c’est-à-dire en prenant le détour de la généralité ou d’un juste milieu qui confond les bourreaux et les victimes.

Il faudra relire Alexandre Soljenitsyne, Raymond Aron ou redécouvrir les mouvements de lutte anticoloniale pour comprendre ce qu’implique pour les hommes et les femmes, les journalistes et les intellectuels, l’engagement contre la normalisation de la dictature et donc le combat pour la conquête de la dignité : il y a des valeurs avec lesquelles on ne peut négocier, le respect de la dignité humaine.    

Amadou Sadjo Barry Professeur de philosophie

Cégep de St-Hyacinthe Québec, Canada



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