Des millions de Guinéens se sont battus au courant de l’année 2019 et continuent à se battre encore contre un changement de constitution. L’élaboration d’une nouvelle constitution est considérée à juste raison comme le moyen par lequel l’actuel Président de la République envisage de s’octroyer un troisième mandat en violation du principe de l’alternance démocratique.
Au nombre des adversaires du changement de constitution figurent des acteurs politiques, des acteurs de la société civile, des citoyens n’appartenant à aucune structure particulière.
Après le référendum chaotique du 22 mars à l’issue duquel la CENI a déclaré l’adoption d’une nouvelle constitution et la confirmation de ce résultat par la Cour constitutionnelle, plusieurs positions se sont exprimées. Dans l’ensemble, les adversaires du changement de constitution réunis au sein du FNDC ont tous indiqué qu’ils ne reconnaissent pas une » nouvelle constitution ». Cette position plus politique que juridique était difficile à prendre pour un juriste.
En effet, à partir du moment où un projet de texte constitutionnel a été déclaré adopté par la majorité de ceux qui ont exercé leur droit de vote le 22 mars, il était difficile pour un juriste de dire qu’il ne reconnaît pas la constitution issue de ce scrutin. Cela, bien que ledit scrutin ait été une véritable mascarade.
La CENI qui compte en son sein des membres issus de l’Opposition et de la société civile, en dépit du peu de crédibilité qu’elle a, est l’organe habilité à organiser les consultations électorales et référendaires et à en proclamer les résultats. La Cour constitutionnelle, une autre institution dont l’assujettissement au pouvoir exécutif n’est plus à démontrer, est quant à elle chargée de veiller à la régularité des élections nationales et du référendum.
Ces deux institutions se sont exprimées bien que leurs décisions soient aussi critiquables et critiquées. Mais pour un juriste, un avocat de surcroît, dès lors qu’une institution juridictionnelle a rendu une décision, il ne peut que l’attaquer en usant des voies de recours prévues par la loi ou l’accepter. Et quand il s’agit d’une décision insusceptible de recours, il n’y a plus rien à faire sur le plan du droit. C’est le cas des décisions du juge constitutionnel. La seule option qui reste ouverte est l’épreuve de force, la contestation dans la rue comme le font actuellement les Maliens relativement à l’arrêt rendu par celle-ci dans le contentieux issu des dernières élections législatives. Les Guinéens n’ont pas encore opté pour cette voie pour contester les décisions conflictogènes que rend de plus en plus la Cour constitutionnelle.
Pour revenir au texte adopté le 22 mars, le juriste n’avait d’autre choix de le considérer comme la nouvelle constitution de la Guinée. Un avocat ou un magistrat ne pouvait donc plus viser la constitution du 07 mai 2010 dans ses conclusions ou ses décisions. Il ne pouvait se fonder que sur le texte déclaré comme la « nouvelle constitution » de la Guinée.
Voilà ce qui explique que des avocats se soient intéressés à la procédure référendaire de 2020.
Et c’est cette même raison qui explique que ce soit un avocat qui a révélé la falsification de ce qui était appelé à devenir la « nouvelle constitution » de la République de Guinée.
En effet, si le projet de constitution soumis au référendum du 22 mars et déclaré adopté par les institutions habilitées avait été publié mutatis mutandi au Journal Officiel, aucun juriste n’aurait pu soutenir avec des arguments juridiques (et non politiques) que cette constitution ne s’impose pas. Il y a des limites difficiles à franchir dans le combat citoyen.
Il n’y a donc aucune incohérence dans la position des avocats membres du FNDC qui étaient opposés au changement de constitution et qui mettent en lumière aujourd’hui la falsification de la constitution. Dès lors qu’il est incontestable comme le soleil se lève à l’Est et se couche à l’Ouest, que le projet de constitution voté n’est pas celui publié au Journal Officiel, ces avocats sont désormais fondés à contester la légitimité du texte que l’on veut imposer aux Guinéens avec la bénédiction de la Cour constitutionnelle. Mais là également, il y a un problème juridique. En effet, aussi incroyable que cela puisse être, la Cour constitutionnelle usant (et abusant ?) de son imperium a déclaré que le texte falsifié publié au Journal Officiel de la République est la « nouvelle constitution » de notre pays. Que faire de son arrêt sur le plan juridique ?
En attendant la réponse à cette réponse, les citoyens doivent réfléchir et prendre leur destin en main. Les questions politiques ne se règlent pas par des arguments juridiques.
Par Maître Mohamed Traoré ancien bâtonnier de l’ordre des avocats