« L’agrément est la reconnaissance officielle qui émane d’une autorité reconnue ». Autrement dit, c’est une sorte d’autorisation administrative d’exercer une activité, un métier dans un domaine bien précis. En Guinée, depuis plusieurs années, le ministère de l’administration du territoire ne délivre plus d’agrément aux partis politiques et depuis 6 mois aux ONG.
Pourtant, adhérer à une association, créer un parti politique ou une ONG fait partie des principes de libertés fondamentales garanties par la constitution du 7 Mai 2010 dans les articles 7, 10.
Ces articles stipulent que : « Chacun est libre de croire, de penser et de professer sa foi religieuse, ses opinions politiques et philosophiques. Il est libre d’exprimer, de manifester, de diffuser ses idées et ses opinions par la parole, l’écrit et l’image »
Article 10 « Tous les citoyens ont le droit de manifestation et de cortège. Le droit de pétition est reconnu à tout groupe de citoyens. Tous les citoyens ont le droit de former des associations et des sociétés pour exercer collectivement leurs droits et leurs activités politiques, économiques, sociales ou culturelles ». Autrement dit, chaque guinéen peut créer un parti politique ou une association en se conformant aux dispositions de la loi qui régit la constitution d’un parti.
Selon la loi LOI ORGANIQUE L/91/002/CTRN DU 23 DECEMBRE 1991 PORTANT CHARTE DES PARTIS POLITIQUES, les articles 2 et 7 stipulent que : Article 2 : Les partis politiques sont des associations à but politique. Ils sont régis par les articles 3 et 95 de la Loi Fondamentale, par les dispositions générales applications aux associations, par la présente Loi Organique et par les autres textes en vigueur.
DES CONDITIONS DE CONSTITUTION
Plusieurs articles de la loi organique encadrent la constitution et le fonctionnement des partis politiques en Guinée
Article 7 : Pour être régulièrement constitué et exercer des activités, tout parti politique doit remplir les conditions suivantes :
Avoir des statuts régulièrement adoptés par les fondateurs Avoir obtenu l’autorisation administrative. Se conformer strictement à la Loi Fondamentale et à la Réglementation en vigueur.
Quant aux formalités de constitution, elles sont énoncées dans les articles 12, 13, 14, 15, et 16 de la loi organique. Dans cette démarche, trois articles ont retenu notre attention : les articles 13, 15 et 16 qui stipulent que
Article 13 : Les membres fondateurs déposent alors au Ministère chargé de l’administration du territoire une demande d’autorisation, accompagnée d’un dossier comprenant :
Quatre exemplaires des statuts signés d’au moins cinq fondateurs et des membres de l’organe de direction ;
La copie du procès-verbal de l’assemblée générale constitutive, en quatre exemplaires ;
Quatre exemplaires de la liste nominative complète des membres fondateurs et des membres de l’organe exécutif avec indication de leur adresse, profession et production de leur acte de naissance, Certificat de nationalité, extrait du casier judiciaire datant de moins de trois mois et d’un certificat de résidence.
Article 15 : Dans les trois mois qui suivent la date du dépôt du dossier, le Ministre chargé de l’Intérieur fait procéder aux enquêtes, investigations et vérifications nécessaires afin de constater la conformité ou la non-conformité du dossier à la Réglementation.
Article 16 : En cas de conformité, le Ministre chargé de l’Intérieur délivre et notifie au déclarant l’autorisation d’existence du parti. L’autorisation est immédiatement publiée au Journal Officiel.
Or, sur la base des enquêtes réalisées, plusieurs citoyens guinéens ont rempli ces conditions afin d’avoir l’autorisation officielle (agrément) leur permettant d’exercer leur activité. Mais les demandes sont restées sans suite.
C’est le cas de Marie Madeline Dioubaté ancienne candidate des verts lors des élections présidentielles de 2015 « ce n’était pas mon parti, j’avais déposé tous les dossiers pour avoir un agrément, mais le pouvoir d’Alpha Condé a refusé ma demande. C’est l’ami de mon père qui m’a dit ma fille vient prendre la tête de mon parti pour que tu sois candidate aux élections. C’est ainsi que je me suis retrouvée à la tête du parti des verts ». Autrement dit, malgré qu’elle ait rempli toutes les conditions requises pour la création d’un parti, sa demande a été refusée par les autorités.
Par ailleurs deux autres partis ont été victimes des mêmes faits : Le B.A.G (Bloc pour l’Alternance en Guinée) de Sadio BARRY et le MODEL de BAH Aliou.
LE B.A.G un parti politique qui « entend faire la politique différemment des partis traditionnels ». Il avait déposé une demande d’agrément le 01/08/2016 à Conakry. Le parti est resté deux ans sans réponse et a déposé un recours auprès de la Cour de justice de la CEDEAO pour refus de délivrance d’agrément. Le 26/02/2019 La Cour de justice de la CEDEAO condamne la Guinée sur tous les chefs d’accusation (violation des droits civils et politiques, discrimination, exclusion de citoyens à l’exercice des fonctions publiques de l’Etat, violation de la liberté d’association...).
Pour Alpha Boubacar l’un des cadres du parti, ils vont se battre jusqu’à l’obtention de leur droit. Il s’est exprimé en ces mots « Notre bras de fer contre l’Etat est une preuve de notre fermeté, de notre vision, et de notre volonté à exercer nos droits et à faire exercer par chaque citoyen de notre pays, ses droits qu’il tient soit, de notre Constitution, soit de la nature. Les autres partis politiques n’ont exercé aucun recours devant les juridictions internationales pour les crimes de sang commis. Nous, rien que pour l’atteinte à notre liberté d’association, nous avons fait condamner l’Etat, alors, je vous laisse imaginer pour le reste. Avec nous, l’Etat a le choix de se comporter avec le standard acceptable, soit, apparaître en paria devant la communauté internationale. Nous ne serons jamais un complice de l’Etat, jamais une caution de légitimation d’un État répressif ».a-t-il déclaré
Quant au parti Model, il a déposé sa demande le 23 Août 2018 qui a été enregistrée sous le numéro 3011 au secrétariat central du ministère. Et le 2 janvier 2019, un recours a été déposé auprès de la cour suprême de Guinée. Qui pour l’instant reste sans suite. Selon Aliou Bah, le refus de leur délivrer un agrément est dû à des raisons politiques. Autrement dit, à un discours qui dérange les autorités. Lors de l’émission des GG du 9 Septembre 2019 de nos confères d’Espace FM le président de l’organe provisoire s’est prononcé ainsi : « le Model n’a pas encore son agrément, mais le pire est que le Model n’a même pas une réponse des autorités de ce pays. Ni du Ministère de l’administration du territoire ni la cour suprême auprès de laquelle nous déposé un recours. Et c’est ce qui est dommage parce que c’est un déni de droit… Aujourd’hui nous ne pouvons pas nous constituer en tant parti politique parce que nous avons un discours qui ne plait pas à certaines personnes tapis dans l’ombre auprès du pouvoir». Ce qui voudrait dire que le refus est dû à des raisons politiques.
Pour tenter de tirer au clair cette affaire, nous avons décidé de mener une enquête à l’interne. Nous avons tenté de joindre le ministre de l’administration du territoire à plusieurs reprises. Fort malheureusement, dans bien des cas il était toujours en réunion ou bien ne décrochait pas nos appels. Toutefois certains cadres du ministre de l’administration du territoire qui ont requis l’anonymat nous ont expliqué les raisons du refus de délivrance des agréments aux partis Politiques et aux ONG.
Pour ce fonctionnaire qui travaille dans le service des agréments, les raisons du refus sont avant tout d’ordre technique liées à l’assainissement « du terrain politique », à travers une enquête sur le bon fonctionnement des partis politiques.
Il s’est exprimé ainsi
« Ce que certains leaders disent par rapport à ces refus, c’est faux, ils sont complètement à côté. Avant même de déposer leurs demandes, le ministère ne délivrait plus d’agrément. Ils le savaient bien avant. Pour être clair, C’est à l’issu d’un contrôle des partis politiques à l’époque au nombre de 113 partis politiques agréés. Cette enquête concernant le bon fonctionnement des partis politiques. C’est-à-dire essayé de voir ceux qui étaient dans les normes, ceux qui respectaient les lois en vigueur. A l’issue de l’enquête du terrain, un memo fut fait. Le Ministère de l’administration du territoire a donc décidé de suspendre la délivrance des agréments des partis politiques. Il était aussi question de retirer l’agrément à un certains nombres de partis politiques qui n’étaient pas en règles. Même si cela n’a pas été fait, mais les raisons sont purement techniques.» a-t-il déclaré avant de poursuivre pour les ONG. Selon notre source, l’état délivrait des récépissés de 6 mois, à l’expression, l’ONG est obligée de présenter un bilan de terrain pour avoir un renouvellement. Parce que là aussi, il y avait beaucoup d’ONG qui avaient des agréments et qui ne faisaient rien sur le terrain. Mais pour les ONG, l’on peut dire que les raisons du refus sont politiques dans la mesure où tout est parti d’un fait banal.
« Pour les ONG c’est un gars qui a mené des activités de rénovations à Coyah et la population a commencé à l’apprécier donc il s’est taillé une bonne popularité et il s’est trouvé que c’est gars de Kabélé, donc les autorités l’ont interpellé pour lui demander en vertu de quoi il mène ces rénovations et activités il a montré mon son récépissé et le ministre est rentré dans une colère noire comme quoi on délivre des récépissés aux ennemis du pouvoir. il a demi le directeur et l’adjoint en même temps, celui qui devait les remplacer a fait une crise le jour de sa prise de fonction et il est décédé depuis la direction est intacte sans responsable. Et depuis lors on ne délivre plus de récépissé aux ONG »
En somme, les partis politiques se basent sur des raisons politiques et de violations des libertés fondamentales pour expliquer les motifs de refus de délivrance des agréments. Par contre, le Ministère se défend en estimant qu’il fallait assainir ce terrain qui était envahi par des partis politiques ne respectant pas la législation en vigueur.
Par ailleurs, en analysant les dispositions constitutionnelles citées plus haut et les articles de la loi organique sur la constitution d’un parti, l’on se rend compte que le Ministère de l’administration du territoire dispose des prérogatives lui permettant de suspendre ou de retirer l’agrément aux partis politiques qui ne respectent pas le cadre légal. C’est-à-dire le cadre juridique nécessaire au fonctionnement de ces entités.
Par contre, s’il est vrai que le Ministère a le pouvoir de retrait de l’agrément aux « mauvais partis politiques », force est d’affirmer qu’au cours de nos investigations, nous n’avons trouvé aucune disposition juridique permettant au Ministère de refuser la délivrance de l’agrément aux demandeurs ayant rempli toutes les conditions.
Sur ce, les raisons techniques évoquées par le ministère sont-elles fondées ? Les partis politiques victimes du refus ont-ils droit de crier à un « coup d’état » sur les libertés fondamentales ? Pour l’instant, on reste dans ce statu-quo qui risque de durer encore très longtemps