Trop souvent, en Guinée, l’ethnie est une variable d’ajustement de la part de responsables politiques lors des compétitions électorales. Des exemples d’instrumentalisation de l’ethnie sont légion dans notre histoire politique. Et à chaque fois, très habilement, soufflant le chaud et le froid, ces mêmes responsables politiques font semblant de se raviser en tenant des discours convenus, de paix et de concorde, en dénonçant à toute forme de violence. Sauf que des militants zélés, déjà chauffés à blanc, intègrent cette détestation de l’autre et sont prêts à en découdre avec le camp d’en face. A force de jouer avec le feu, on finit par se brûler. Les violences post-électorales et les apprentis sorciers qui pullulent sur les réseaux sociaux appelant à la haine ethnique sont la résultante de ce climat délétère.
Si le pays n’a pas encore basculé dans la guerre civile généralisée (encore heureux !), cela tient davantage à la sociologie ethnique en Guinée qu’autre chose car il n’y a pas chez nous que deux groupes ethniques distincts, mais une dizaine voire plusieurs dizaines d’ethnies. De ce point de vue, point de place pour des batailles rangées entre un « nous » contre un « eux » de manière homogène. Pendant combien de temps cela pourrait-il tenir ? Des formes d’alliances interethniques peuvent-elles se reconstituer contre d’autres types d’alliances ? Rien n’est impossible. Sachant que notre histoire récente (les évènements actuels, les présidentielles de 2010, les affrontements communautaires en 1992 en Guinée forestière) et plus ancienne (conflit interethnique à Conakry en 1956) nous enseigne qu’on n’est jamais à l’abri d’un embrasement ethnique dans le pays. A chaque fois, l’autre est attaqué au nom de l’altérité, c’est-à-dire issu d’une ethnie différente. Et sur ce seul critère. Le schéma de la guerre civile est simple : il faut un contexte politique et social voire économique, des discours de haine et de diabolisation de l’autre et enfin le passage à l’acte à travers des alibis…
Alors, ressaisissons-nous. Ne noyons pas nos lâchetés et nos propres errements en pointant du doigt l’autre. L’Etat, seul dépositaire de la violence légitime comme le dit Weber, doit prendre ses responsabilités pour restaurer et maintenir l’ordre et en punissant sévèrement ceux qui tiennent des propos haineux, notamment en les diffusant sur les réseaux sociaux. Sur ce point, les autorités publiques brillent par leur silence coupable à trouver des solutions efficaces face à la montée des tensions communautaires. Toute honte bue, les leaders politiques se rejettent la responsabilité les uns sur les autres et inversement. L’adversaire est désigné comme la source du mal, sauf que celui-ci n’est pas traité. A se demander si la chronicité du mal ne profite pas à tout le monde. C’est comme si par exemple au lieu de trouver le remède d’une maladie, on s’en arrêtait à la désignation des agents pathogènes, en oubliant de traiter la pathologie.
En Guinée, tout le monde crie au loup, et personne ne ferme la porte de la bergerie. On se défend d’être ethnocentriste, mais on trouve des justifications à des revendications communautaires stigmatisantes. On se dit démocrate, mais on s’accommode de l’excommunication d’une ethnie sous le prétexte fallacieux de l’autochtonie. Soyons clair, dans toutes les sociétés et de tous temps, les autochtones et les allogènes (ceux qui sont d’arrivée plus ou moins récente) cohabitent mais ne sont égaux symboliquement. Il n’est pas question de nier l’antériorité des premiers sur les autres, ni de leur enlever la primauté qui leur est due, sauf qu’elle ne doit pas conduire à l’exclusion des autres surtout dans un contexte démocratique où seul le statut de citoyen prévaut. Dans une élection dite démocratique, tous les candidats, pour peu qu’ils répondent aux critères institutionnels d’éligibilité, doivent être logés à la même enseigne. Affirmer qu’untel ne peut pas être à la tête de la communauté, parce que n’étant pas autochtone est une aberration et pis, à mon sens, une démarche dangereuse dans un pays multiethnique comme le nôtre.
On prétend défendre toute la nation, mais on s’échine à dénombrer, avec une précision d’orfèvre, les seuls drames de sa communauté. Tenir une comptabilité macabre sur une seule zone du pays, fût-elle martyrisée, ou sur une seule ethnie décrédibilise le combat noble pour les libertés publiques et le droit à la justice des victimes. Celles-ci ont toujours été nombreuses en Guinée, toutes régions et ethnies confondues. Aucun guinéen ne doit mourir à cause de ses idées politiques, qu’il manifeste à Bambéto ou à Mandiana. Aucun. Les indignations doivent être égales face à la brutalité et à la criminalité des forces de l’ordre dès lors que leurs responsabilités sont établies. Méditons cette phrase de Bossuet, homme d’Eglise et écrivain français du 17è siècle, quand il écrit en se moquant des pompiers pyromanes qui s’étonnent des méfaits de leurs actes : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ».
Dans le marasme social, économique, politique et moral dans lequel on vit, seuls quelques activistes de la société civile, avec leurs petits bras, tentent de faire quelque chose. Leur démarche, bien que discutable quelquefois, a le mérite d’exister face à l’immobilisme institutionnel et social. Nous devons, chacun à son échelle, rejoindre promptement ce combat contre toute exacerbation de la question ethnique si non, la Guinée brûlera. Et nos enfants ne nous le pardonneront pas !
Sayon Dambélé, dambelesayon@yahoo.fr